mardi 20 mai 2008

Traitement de choc

"Depuis qu'on me l'a interdit, je ne fume plus. Je remercie vivement l'initiative du gouvernement qui a changé ma vie."
Tels sont les propos recueillis (ici grammaticalement corrigés) lors d'un reportage récemment diffusé sur France 2, destiné à illustrer la soudaine baisse de 10% de vente de cigarettes sur le territoire français.

Dépoussiérons donc nos serpentins et autres artifices carnavalesques, et saluons comme il se doit cette énorme victoire pour les justiciers politiques, les associations inquisitoires de guillotineurs de pipes, les fervents adorateurs au premier degré du Meilleur des Mondes d'Aldous Huxley, et balayons dans les recoins du bon sens les propos des buralistes européens frontaliers qui observent de leur côté une nette augmentation des efforts linguistiques de leurs voisins français et une hausse simultanée de leur chiffre d'affaires.

Dossier clos ? Que nenni ; il reste à éradiquer ce ramassis de fumeurs français récalcitrants. Après les avoir assimilés à la lie de la société et interdit leurs rassemblements dans des établissements autrefois dédiés à l'épanouissement culturel et social, il faut encore leur procurer d'innombrables angoisses culpabilisantes, par le biais de photographies choquantes qui devraient prochainement être apposées sur le précieux emballage de l'objet de leur vice dégoûtant.

Après tout, cette escalade de l'horreur audiovisuelle est déjà quotidiennement présente ; les media se complaisent à parsemer outrageusement les journaux télévisés de clichés de cadavres sanguinolents, les campagnes d'information en matière de santé publique d'images répugnantes, et les émissions musicales d'interventions bruyantes de Cindy Sander.

Ne nous leurrons pas ; nous serons bientôt TOUS inondés d'images cauchemardesques susceptibles de nous apprendre à mieux vivre dans la terreur. Ah, il est bien loin "le temps des rires et des chants", au sein d'un Jurassic Park bariolé et paradisiaque où c'était "tous les jours le printemps". On se souciait d'ailleurs bien peu à l'époque des valeurs nutritives du Gloubi-boulga ou du fait que François passait davantage de temps à souffler dans des préservatifs multicolores qu'à tenter de se reproduire avec Julie.
L'innocence n'est définitivement plus.
Permettez-moi de penser qu'à ce rythme-là, en raison de cette pénurie sans cesse grandissante d'images agréables et rassurantes, les albums illustrés des aventures de Martine se vendront prochainement à prix d'or sous le manteau.
Force est de constater qu'on n'offre plus du rêve ; on vend dorénavant du dégoût, de la frayeur, et surtout de la culpabilité. Tenez-vous le pour dit : on ne meurt plus aujourd'hui ni de manière naturelle, ni par quelque fâcheux concours de circonstances ; on ne se fait embarquer par la Grande Faucheuse que parce qu'on l'a bien cherché, madame.

D'ailleurs, afin de respecter cette nouvelle logique préventive, pourquoi ne pas placarder dans les halls d'entreprises des clichés photographiques médicaux représentant les ulcères des salariés ? Pourquoi ne pas incorporer aux panneaux d'affichage de certaines grandes sociétés le portrait du "suicidé du mois" ?
Ne devenons pas utopistes ; si travailler tue, il s'agit en l'occurrence d'une mort politiquement reconnue digne et propre, ouvrant droit à quelque abattement fiscal pour la famille du laborieux défunt.
Pour le bien de tous, il convient de concentrer davantage ses efforts sur ces hordes de pauvres qui se nourrissent si mal et deviennent obèses, sombrent dans le tabagisme et l'alcoolisme par pur mépris de leur prochain, polluent délibérément l'atmosphère avec leurs véhicules obsolètes...
... et par conséquent gangrènent sournoisement l'existence proprette des imbéciles heureux.

Entre nous, mesdames et messieurs les dictateurs de la pensée basique et réductrice, ne vous donnez pas tant de mal. En ce qui me concerne, dans un prompt élan de générosité, je vous fournis le précieux renseignement suivant : faites tout simplement imprimer les couleurs du drapeau français sur mon paquet de cigarettes préférées, et je vous promets d'arrêter de fumer sur le champ.

mercredi 7 mai 2008

Crise élémentaire

A l'instar de l'accent qui ne l'est plus sur bon nombre de voyelles, l'heure est grave. Aussi, afin de ne point succomber à une fatidique ablation de nos bourses due à quelque nouvelle envolée du coût des matières premières, jouissons de la tiédeur climatique actuelle, et laissons-nous l'espace d'un instant bercer par cette douce chanson de quête, recueillie par Marguerite Gauthier-Villars au cours du siècle dernier :

Voici, voici le joli mois de Mai. (bis)
Que les rosiers boutonnent.

Ma mie, ma mie, donnez-nous des œufs frais. (bis)

Si vous donnez des œufs frais

Pour remplacer nos muguets,
Ah ! nous vous remercierons dans nos chansons. (bis)


Ma mie, en plus des œufs frais, n'oubliez tout de même pas de ramener six ou sept litres de lait.
Plus quelques kilos de riz.
Ainsi qu'un jerrican rempli d'essence non plombée, afin de compenser la lourdeur de ma plume.
Sachez que les temps sont aussi durs qu'un jour sans pain, ma mie câline...

Nous avalerons ainsi de nouveau l'asphalte, jeunes et insouciants, nous goinfrant de riz au lait au volant de ma berline gourmande.
Et le monde sera plus beau.